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Ces grandes villes écologistes à l’épreuve du réel

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 6 minutes

L’élection de maires écologistes, notamment à Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble et Tours, a marqué les dernières élections municipales, non sans faire de vagues. À mi-mandat, le « municipalisme vert » – censé inventer la ville de demain – peine-t-il à convaincre ? Pour ces élus, l’exercice du pouvoir ne laisse pas ou peu de place à l’idéologie.

Par Franck Soler

Ils ont fait face aux nombreuses crises qui ont marqué la première moitié de leur mandat. En première ligne de l’adaptation, les nouveaux maires écologistes de grandes villes ont dû faire leurs preuves. Pour Les Écologistes (ex-EELV), « s’il faut trouver un seul mérite à ces bouleversements – sanitaires, géopolitiques, sociaux, humains –, c’est d’avoir montré la maturité de l’écologie politique ». Nul doute que le « municipalisme vert » à l’œuvre dans sept villes de plus de 100 000 habitants s’appuie sur un désir commun, celui de faire émerger un nouveau modèle urbain post-Covid. Ces mêmes édiles mettent en avant le besoin d’imaginer un changement durable des modes de vie, de production et de consommation qui ne soit pas uniquement contraint par l’urgence. « Nos villes ont un cruel besoin de sortir des logiques de compétitivité, de concurrence, de globalisation », exprimaient-ils déjà dans une tribune publiée dans Le Monde en août 2020. Et Bruno Bernard, président du Grand Lyon, de se faire le porte-parole de cette nouvelle trajectoire écologique des métropoles.

Répondre à l’urgence et transformer en profondeur

Ces maires défendent à leur échelle une ambition : mener la transition en rompant avec « la logique d’inaction et de conservatisme dans laquelle s’inscrivaient souvent leurs prédécesseurs », dixit Les Écologistes. Pour ces élus en 2020, il y a bien une feuille de route commune qui dépasse les seuls enjeux locaux : répondre aux enjeux de mutation et d’adaptation posés à leurs habitants (comme à toute la société française du reste). « Après une année plombée par le Covid, nous sommes vraiment entrés dans la transformation de la ville et de ses usages en profondeur », relate Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg et première vice-présidente de la Métropole.

Repenser les mobilités

En trois ans d’exercice du pouvoir, les exécutifs écologistes se sont mis à l’œuvre. Un vaste et périlleux chantier. Il s’étale sur plusieurs champs d’action, à commencer par les mobilités. Une thématique phare pour ces élus, mais que toutes les grandes villes et métropoles actionnent avec plus ou moins d’ambitions et de moyens. À Strasbourg, face aux défis du dérè- glement climatique – « on nous prédit des pics de chaleur à 50°C » – et de la pollution de l’air, la métropole a engagé une vraie révolution des mobilités à laquelle doit contribuer – entre autres – le projet de tram nord, « un projet qui va véritablement métamorphoser toute une partie de l’agglomération », selon Jeanne Barseghian.

Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg @ Strasbourg

 

Il en est de même à Lyon. Sur la période 2021- 2026, le Sytral, l’autorité organisatrice de la mobilité, a doublé son budget pour atteindre 2,55 milliards d’euros, non sans poser de problème sur son endettement. L’objectif : trouver des solutions à la voiture individuelle et contrer l’étalement urbain.

Végétaliser

Emmanuel Denis, maire de Tours et vice-président de la Métropole délégué aux transports et aux mobilités douces, confirme quant à lui que la végétalisation de sa ville est un marqueur fort de son engagement politique. « Ce qui nous caractérise – les maires écologistes –, c’est la volonté d’adapter nos villes au dérèglement climatique. Dans cette ambition, la végétalisation des espaces publics, des îlots de chaleur urbains, des cours d’école, tient toute sa place. À Tours, nous avons déjà planté 26 000 arbres depuis 2020. » Même son de cloche à Strasbourg où son édile évoque un « grand projet de renaturation emblématique », celui de « transformer une rocade routière et autoroutière en un parc de 16 hectares ».

Rénover utilement

À Tours, les élus se sont par ailleurs engagés à marche forcée dans la rénovation thermique des bâtiments publics. Pour cela, un plan pluriannuel d’investissement de 500 millions d’euros a été lancé sur dix ans. « Rien n’a été fait depuis des décennies. On a une ‘‘dette grise’’ qui pèse lourdement sur les générations futures », reconnaît Emmanuel Denis. Un constat partagé par Jeanne Barseghian, qui déplore vivement l’inaction de ses prédécesseurs sur ce sujet. « Le retard à rattraper est immense. Je suis effarée de constater l’état de dégradation du patrimoine municipal dans lequel les équipes précédentes n’ont pas suffisamment investi. Nous, on a fait le choix de rénover les équipements de proximité, les écoles, les gymnases ; c’est cela qui est utile et pas forcément les grands projets clinquants. »

Tous les maires écolos déclarent vouloir répondre à l’urgence d’une relocalisation de l’économie.

En outre, tous les maires écolos déclarent vouloir répondre à l’urgence d’une relocalisation de l’économie. La capitale tourangelle aide par exemple les entreprises engagées dans la transition. La défense d’une économie de proximité – le localisme économique – est portée à bout de bras par son édile qui a lancé la création d’un « pôle vélo » – « un vrai projet de réindustrialisation associant, autour de la filière vélo, l’ensemble des acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire ».

Des mesures jugées avant tout symboliques

Pour autant, certaines mesures – souvent présentées à grands « coups de com’ » – comme les micro-forêts urbaines ou les potagers partagés, sans parler des polémiques que certaines ont suscitées, relèveraient plus de décisions symboliques que d’une vraie révolution dans la manière de faire la ville. Pour Aurélien Martinez, journaliste et auteur du livre-enquête « Quand les Verts arrivent en ville », ces élus « ont gagné la bataille idéologique de l’adaptation nécessaire des villes au changement climatique. Désormais, ils se frottent à la dure réalité de l’action politique ».

Travailler sur le quotidien

En pleine crise sanitaire et face à l’inquiétude des citadins, ils ont été élus sur des programmes radicaux promettant des changements profonds. Mais confrontés à la « vie réelle », les promesses de campagne tardent à venir. Face à la pression des habitants et des promoteurs, arrêter ou remettre à plat de grands projets urbains n’est pas si simple. Avant d’être à la tête la capitale girondine, Pierre Hurmic avait exprimé des réserves sur l’opération Rue Bordelaise, portée par l’investisseur Apsys. Plutôt que de l’enterrer, ce projet urbain a été réorienté avec une prime à la mixité et à l’hypervégétalisation. « On a chiffré combien coûterait aux partenaires publics que nous sommes le renoncement à ce projet : au minimum 100 millions d’euros », argumentait-il en 2021. Sollicité pour témoigner dans cet article, l’édile de Bordeaux a décliné notre proposition.

« Quand on parle de transformer la ville en profondeur – pour préparer la ville de demain –, on est dans des grands projets ! », Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg

De même, changer les plans de circulation pour généraliser les zones de rencontres et apaiser les quartiers crée beaucoup de mécontentement. Face aux critiques sur l’absence de grands projets et le fait de vouloir « tout arrêter », Jeanne Barseghian répond : « Quand on parle de transformer la ville en profondeur – pour préparer la ville de demain –, on est dans des grands projets ! Mais c’est vrai que ce qui caractérise les municipalités écologistes, c’est de travailler davantage sur les besoins quotidiens des habitants et de préparer l’avenir. » Confrontés comme toutes les grandes villes à la profonde crise du logement, les Écologistes n’ont pas d’autre choix que de continuer à construire pour répondre aux besoins pressants des habitants et éviter la flambée des prix. Leur solution : favoriser le logement social et abordable. Pour l’élue strasbourgeoise, il n’est d’ailleurs pas question de moratoire sur la construction de logements. « Nous avons réorienté les grands projets urbains lancés avant 2020 en y intégrant plus de logements sociaux et abordables, plus d’équipements publics, plus d’écologie. »

Les difficultés de gouvernance à l’échelle métropolitaine

Le municipalisme vert est également confronté aux difficultés de gouvernance et de mise en œuvre d’une politique écologiste à l’échelle des métropoles, le seul échelon pertinent. Pour bénéficier d’une capacité d’action à l’échelle métropolitaine, les écolos doivent le plus souvent s’allier à d’autres forces politiques. À Tours, Emmanuel Denis défend tant bien que mal son programme écologique au sein d’un groupe minoritaire de gauche (37 élus sur 87). Il ne minimise pas les difficultés que cette situation amène : « On est en cogestion avec la droite. Sur certains sujets comme les mobilités, cela ne pose pas de problème, mais en matière d’urbanisme par exemple, on reste sur une “métropole des maires’’ dans laquelle chacun défend ses particularismes. »

Le grand défi des maires écologistes, c’est de se faire entendre et respecter au-delà des villes qu’ils ont conquises. S’ils veulent changer la ville, ils doivent penser et agir métropolitain.

Strasbourg semble être une exception avec une gouvernance métropolitaine à trois têtes féminines : Pia Imbs, la présidente sans étiquette, et deux présidentes déléguées écologistes, dont Jeanne Barseghian. « Je suis convaincue que la gouvernance que nous avons choisie nous permet de déployer notre feuille de route politique, en matière de transition écologique notamment, de manière très cohérente entre la ville-centre et la métropole. Cela nous a permis d’aller extrêmement vite sur certains projets. » Le grand défi des maires écologistes, c’est de se faire entendre et respecter au-delà des villes qu’ils ont conquises. S’ils veulent changer la ville, ils doivent penser et agir métropolitain.

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