André Yché, l’ancien président du directoire puis du conseil de surveillance de CDC Habitat, a été missionné par le précédent ministre délégué chargé du logement afin d’élaborer un cadre réglementaire pour refonder l’économie immobilière. Il livre en exclusivité pour Objectif Métropoles de France son analyse de la situation et des pistes qu’il conviendrait d’explorer.
Par André Yché
L’immobilier est en crise ! Tous les dirigeants du secteur, de nombreux élus locaux et quelques responsables politiques nationaux le savent. Mais habitués à voir l’argent public financer la sortie des pannes conjoncturelles, rares sont ceux qui se sont donné la peine d’analyser les véritables ressorts d’un décrochage inédit qui touche les bureaux, les centres commerciaux et les zones d’activité au même titre que le logement. Et pourtant, l’explication est évidente : le prix des actifs, des immeubles de bureaux, des logements, du foncier est trop élevé et dissuade les ménages autant que les investisseurs de s’engager, parce qu’il est déconnecté du revenu des uns et des conditions de rendement des projets des autres. La voie de recours traditionnelle consiste donc à réclamer de l’argent public pour compenser cet écart excessif. C’est ignorer les mécanismes et les causes premières de cette crise systémique, qui revêt de multiples facettes, et c’est surtout négliger la situation des finances publiques et du commerce extérieur dont les déséquilibres suscitent de telles tensions que la signature du pays ne repose plus, pour l’essentiel, que sur l’abondance de l’épargne privée qui garantit provisoirement la France contre le risque mortel de défaut souverain.
L’économie réelle en pâtit
Pourquoi le prix des actifs s’est-il envolé alors que la productivité s’effondrait ? Parce que la politique monétaire permissive (quantitative easing) des banquiers centraux, destinée à financer l’explosion des dettes souveraines (900 milliards d’euros pour la France), en chargeant le bilan des banques centrales de titres d’État (OAT), a mécaniquement engendré des flux de liquidités qui ont dû trouver à se placer en bourse et dans l’immobilier.
« La valorisation artificielle des stocks d’actifs a laminé les flux de revenus, de ressources fiscales et de bénéfices alimentant le pouvoir d’achat des ménages et les capacités d’investissement des entreprises. »
Ainsi, la valeur nominale des actifs s’est trouvée décorrélée de leur valeur économique réelle, telle qu’elle découle de leur rendement interne, c’est-à-dire des « net cash flows » qu’ils génèrent. Et par voie de conséquence, c’est l’économie réelle, celle des flux de transactions et d’investissement, qui en pâtit ! En d’autres termes, la valorisation artificielle des stocks d’actifs a laminé les flux de revenus, de ressources fiscales et de bénéfices alimentant le pouvoir d’achat des ménages (qui ne peut s’exonérer durablement de la productivité du travail) et les capacités d’investissement des entreprises qui ne peuvent que dépendre de la rentabilité interne du capital.
À ce stade du raisonnement, toutes les données laissent entrevoir une crise conjoncturelle, celle d’un cycle court permettant d’escompter une reprise à l’issue d’une phase baissière des marchés de deux ou trois ans, après apurement des situations de surévaluation manifestes.
Mais cette présentation ignore l’essentiel qui ne se réduit pas à l’effet de l’évolution des taux d’intérêt sur la solvabilité des ménages. En effet, des facteurs structurels, de nature technologique et sociologique, incitent à réviser le diagnostic en faveur d’une crise longue, dont la phase baissière pourrait s’étendre sur une vingtaine d’années. Ces facteurs structurels, quels sont-ils ?
Un modèle d’urbanisme à réinventer
D’abord, les technologies numériques ont autorisé ce qui, voilà dix ans, n’était pas encore concevable à grande échelle : le travail et le commerce à distance, par le biais d’outils dont le développement « grand public » a demandé trois décennies.
Ensuite, au moment précis où l’offre technologique parvenait à maturité, la crise sanitaire et le confinement général et durable qu’elle a suscité principalement en Europe, conjuguée à l’accompagnement budgétaire exceptionnel auquel elle a donné lieu, ont révélé une mutation sociologique profonde, celle de l’épuisement de l’urbanisme métropolitain, caractérisé par deux défauts majeurs, du moins en France : celui d’être monocentrique (« Paris et le désert français », décliné à l’échelle métropolitaine) et géographiquement sectorisé : quartiers d’affaires (exemple, La Défense et surtout la « péri-Défense »…) versus zones résidentielles, ce qui entraîne mécaniquement la saturation des transports collectifs, surtout lorsque certaines « villes nouvelles », comme celle Saint-Quentin en Yvelines, engendrent des mouvements pendulaires, les salariés des entreprises implantées dans la communauté d’agglomération n’y résidant pas et réciproquement.
En synthèse, l’explosion du travail à distance annonce la mutation du modèle d’urbanisme métropolitain qui devrait évoluer vers le polycentrisme et la mixité fonctionnelle, ce qui n’est pas pour demain.
« Il convient d’accompagner l’investissement de transformation mais aussi, simultanément, de ramener la valorisation des actifs à un niveau compatible avec des opérations de transformation rentables. »
Le constat qui alimente l’hypothèse d’une crise structurelle, c’est celui de la multiplicité des secteurs de l’économie immobilière en crise : celui des bureaux, avec plus de cinq millions de mètres carrés vacants en Île-de-France ; le logement neuf, dont la production a connu un effondrement historique ; les zones d’activité tertiaires, à restructurer ; les centres commerciaux, à reconfigurer ; seuls se maintiennent l’hôtellerie et la logistique, mais pour combien de temps ?
Les conditions d’une sortie de crise se dessinent ainsi : transformer les actifs obsolètes, parfois très récents, pour privilégier la mixité d’usage, à la fois dans une perspective architecturale (au niveau de l’immeuble) et à l’échelle du quartier, c’est-à-dire en matière d’urbanisme.
À cette fin, il convient d’accompagner l’investissement de transformation mais aussi, simultanément, de ramener la valorisation des actifs à un niveau compatible avec des opérations de transformation rentables : bref, sacrifier la valorisation des stocks au profit de la dynamisation des flux d’activité. Voilà les bases de la réflexion qui devraient inspirer nos dirigeants.
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