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OPEN-DATA / Quel impact en matière de développement local ?

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 10 minutes

Prometteur, l’Open data est montré comme un outil de développement économique. Mais, en pratique, les réutilisations des données publiques sont-elles aussi fructueuses que ses promoteurs l’annoncent ? L’ouverture des Data sert-elle la start-up Nation ? De nombreuses entreprises et jeunes pousses se saisissent de cette matière première. Les partisans de l’Open data peinent à le faire savoir, alors que cela pourrait convaincre les collectivités d’ouvrir leurs données… Et ainsi de se mettre en conformité avec la loi !

Depuis le 7 octobre dernier, toutes les administrations et les collectivités de plus de 3500 habitants et employant au moins 50 agents doivent ouvrir leur données publiques, c’est-à­-dire l’ensemble de leurs data, sauf celles conte­nant des données personnelles ou protégées. En réalité, le jour J, elles étaient 343, sur 4 510, soit 7,6 % ! Et encore, l’Observatoire Open data des territoires révèle que plus d’un tiers d’entre elles proposent moins de trois jeux de données, histoire de se mettre en conformité avec la loi Lemaire, dite « loi pour une République numérique ».
 Et les autres ? Elles y viendront… peut-­être. La loi ne prévoit pas de sanction, ni de date limite pour le faire, contrairement à la réglementation sur la protection des données personnelles (RGPD) qui, elle, est appliquée partout depuis mai dernier. Alors que certaines collectivités se sont engagées précocement et/ou fortement dans le mouvement d’ouverture de leurs données, d’autres ont plus de difficultés, soit parce qu’elles ne disposent pas de techniciens en interne sur le sujet, soit parce que les élus sont politiquement récalcitrants à l’idée d’ouvrir leurs données. Pour encourager celles et ceux qui hésitent, les promoteurs de l’Open data cherchent donc à montrer les vertus du système, par des exemples fructueux de réutilisations. Et ils doivent être pléthore car, selon la Commission européenne qui a proposé en avril 2018 une nou­velle directive Open data, les données du secteur public « servent non seulement de matière pre­mière indispensable à la production de services et d’applications fondés sur les données, mais permettent aussi une prestation de services, privés et publics, plus efficace et la prise de déci­sion en meilleure connaissance de cause ». Cela étant posé, et sacrément posé, il devrait être facile de savoir qui exploite ces données… Mais, en pratique, c’est bien là que le bât blesse, il n’est pas aisé d’expliquer à qui les data sont destinées, ni pour quels usages.

DIFFICILE DE RECENSER LES RÉUTILISATEURS

Le principe de l’Open data est la mise à disposi­tion – gratuite ou non – de données publiques. Quiconque peut donc s’en saisir sans le faire sa­ voir à la collectivité. C’est l’un des écueils auxquels sont confrontés les partisans de l’Open data, qui cherchent tous les moyens de faire connaître les réutilisations, d’une part, pour convaincre les col­lectivités de se jeter à l’eau et, d’autre part, parce que la publicité sur les débouchés pourrait don­ner des idées à d’autres… C’est ce que fait Open Data France sur son site internet avec des témoi­gnages de réutilisateurs. Dans cet esprit, certaines plateformes Open data des territoires proposent à leurs usagers de se faire connaître, de proposer des améliorations ou d’échanger sur un forum de discussion. Ainsi sur le forum de la plateforme de Rennes Métropole, les échanges portent sur les services liés aux mobilités (vélos en libre­ service, places de stationnement, état du trafic). Des étudiants semblent aussi s’intéresser à la portée de la data, comme une étudiante en école d’architecture ou les élèves spécialisés du master SIGAT (Système d’information géographique et d’aménagement des territoires) qui ont créé une cartographie des projets issus du budget parti­cipatif. Les professionnels sont plus difficiles à identifier, à part la société Diploméo, qui propose des conseils d’orientation en ligne à partir des informations sur les écoles de commerce ren­naises, notamment.

MULTIPLIER LES USAGES

Pour faire émerger des projets, les collectivités cherchent à animer les réseaux locaux en orga­nisant des rencontres, des Hackathons et autres appels à projets. La Métropole de Lyon, en par­tenariat avec la Caisse des Dépôts, a lancé le « R challenge » ou comment l’ouverture de don­nées peut conduire à de nouvelles solutions numériques au service de la qualité de l’air. Après un appel à projets début 2018, une première sélection a permis à huit projets de participer pendant trois jours à un sprint d’accélération : des experts et des chercheurs ont accompagné les candidats pour trouver une application adaptée aux territoires. Les cinq projets finalement rete­nus ont commencé leur phase de tests grandeur nature dans des quartiers de la métropole lyon­naise, notamment La Confluence, la Vallée de la Chimie et le campus LyonTech­-La Doua.

DES PROGRÈS À RÉALISER

Certes, les initiatives foisonnent, mais elles sont cantonnées aux pionniers de l’Open data : Lyon, Rennes, Toulouse, Nantes, Nice, la région Occi­tanie… Pour donner plus d’ampleur au mouve­ment d’ouverture des données publiques, un appel à projets national de la Fondation internet nouvelle génération (Fing), appelé « Open data impact », vise à mesurer les retombées de l’ouver­ture des données. La Fing y rappelle que « depuis 5 ans, la France est devenue probablement le pays le plus en pointe de l’Open data dans le monde », mais regrette que beaucoup restent sur leur faim : de nombreux sujets sont « peu ou pas abor­dés, le sujet se “technicise” et les imaginaires ont peu évolué ». Le constat est éloquent. Pour y remédier, la Fondation souhaite faire un état des lieux, susciter et accompagner des expérimentations de terrain, puis formuler une feuille de route pour les dix prochaines années.
 Pour accélérer la tendance, les pistes d’améliora­tion sont connues. Les réutilisateurs dénoncent ainsi les défauts de mise à jour les données. C’est la raison pour laquelle de nombreuses applications développées par des acteurs privés reposent sur le crowdsourcing, les informations fournies par leurs usagers, en plus de la donnée publique. Un autre grief fait à l’Open data porte sur son manque d’interopérabilité. 
En effet, les entreprises qui souhaitent proposer des services dans plusieurs villes, afin d’assurer leur rentabilité économique, reprochent le man­que d’homogénéité des données d’une platefor­me à l’autre. Selon l’Observatoire Open data des territoires, les plateformes des collectivités n’uti­lisent pas moins de 8 technologies différentes (ods, dev cms, arcgis, c (d) kan, mgdis, widget, etc). Il semble donc essentiel aujourd’hui de favo­riser l’émergence d’offres standards. L’Open data n’en est qu’à ses premiers pas et a déjà permis le développement de multiples acteurs de l’écono­mie numérique. Reste donc à convaincre les plus récalcitrants…

L’Open data au cœur des nouvelles mobilités

S’il est un secteur où l’ouverture des données publiques a commencé sa révolution, c’est bien celui de la mobilité. Des plateformes en ligne changent les façons de se déplacer. Que l’on parle, en français,
de mobilité servicielle ou, en anglais, de Mobility as a service (Maas), les grands groupes étrangers ont déjà envahi nos smartphones et le gouvernement lance une offensive pour faire émerger des champions nationaux.

Par Cécile Perrin

Star à Rennes, Vianavigo en Île-­de­-France ou encore Citymapper dans plusieurs métropoles, autant de plateformes qui changent les déplacements des usagers, en voiture, en transports en commun ou à vélo. Elles sont alimentées par des données publiques et celles des entreprises de transports en com­mun mais aussi les plateformes de covoiturage. Un ensemble d’informations multiples et actua­lisées en temps réel du big data qu’il est désor­mais plus facile de créer et d’exploiter grâce à la multiplication des capteurs et aux performances accrues des puissances de calcul, les fameux algorithmes. L’application lyonnaise Optymod’ Lyon propose un calculateur d’itinéraires multi­ modal prédictif, mais les appréciations des utili­sateurs sont peu convaincantes…

VERS DES PLATEFORMES MULTIMODALES TERRITORIALES


Pour améliorer les outils existants, la future loi d’orientation des mobilités (LOM), qui devrait être discutée au Parlement au printemps 2019, prévoit l’ouverture des données nécessaires au développement de services numériques de mo­bilité. Pour accompagner le texte, le gouverne­ment lance un appel à projets destiné à faire émerger des démonstrateurs et autres expérimentations. Financé par le Programme d’in­vestissement d’avenir ­ PIA 3, l’appel à projets « Expérimentation pour le développement de la mobilité servicielle », porté par l’Ademe, a été lancé le 20 septembre 2018. « Aujourd’hui, les systèmes technologiques, organisationnels et économiques ne sont pas encore à un stade de déploiement, soit parce qu’ils sont toujours en développement, soit que leur viabilité écono­mique n’est pas assurée », constate Anthony Lelarge, responsable des appels à projets investissement d’avenir transport à l’Ademe. « L’appel à projets vise à inciter, d’une part, les collectivités à innover, d’autre part, les acteurs privés à aller tenter des choses en s’appuyant sur les finance­ments publics. » Il est question de financer une dizaine de projets, structurants, à hauteur de 1,5 à 7 millions d’euros. Ces expérimentations devront offrir une véritable multimodalité avec des sys­tèmes interopérables, modulaires et duplicables.

Pour améliorer les outils existants :
 la future loi d’orientation des mobilités (LOM) devrait être discutée au Parlement 
au printemps 2019.

« La modularité consiste à bénéficier d’un système adaptable à chaque col­lectivité, en fonction de ses besoins », explique Anthony Lelarge. La possibi­lité de dupliquer le dispositif constitue la condition au développement écono­mique des projets. L’idée est donc de voir naître des applications qui regroupent toutes les mobilités, transports en com­mun, vélos en libre-service, informa­tions des taxis et VTC, comme il en existe déjà. Mais, en plus de l’information sur les horaires et la localisation, l’appel à projets ambitionne d’ajouter une fonc­tion billettique, sans avoir à diriger l’utilisateur vers les plateformes pro­priétaires. En outre, le système intero­pérable permettrait d’utiliser la même application dans tous les territoires : « On pourrait imaginer se déplacer à Paris grâce à la plateforme de Rennes », suggère Anthony Lelarge. La mobilité servicielle bénéficierait ainsi aux utili­sateurs qui n’auraient plus qu’une seule et même application. De leur côté, les collectivités pourraient mieux com­prendre leurs problématiques de mobi­lité et adapter l’offre de transport.

« L’ambition est de produire des retours d’expériences suffisants dans trois ans pour définir de grands standards d’équipement », poursuit­-il. Mais l’appel à pro­jets est très ouvert et propose aux opé­rateurs d’être créatifs. « Nous attendons que les propositions nous surprennent », souligne même Anthony Lelarge. Les résultats sont prévus pour fin avril 2019… au moment où la très attendue loi LOM devrait avoir fini son parcours parlementaire.

POUR UNE CONCURRENCE PLUS OUVERTE

Alors que les grands groupes, principa­lement américains, prennent pied dans les villes françaises, le gouvernement cherche à faire naître des champions nationaux. En outre, l’émergence de biens communs grâce à des systèmes interopérables joue aussi en faveur d’une plus grande concurrence. L’objec­tif ici est, semble-­t­-il, d’éviter le fiasco d’Autolib’ à Paris : la programmation des bornes publiques Autolib’ avec un logiciel Bolloré a en effet empêché tout autre prestataire de gérer le système. La mise en œuvre de plateformes intero­pérables permettrait d’en finir avec la prime au premier arrivé. Les collectivi­tés pourraient changer d’opérateurs et les nouveaux venus dans le secteur d’ac­tivité auraient encore une chance de s’y faire une place. Il y a urgence tant les géants du secteur ont de l’avance. Uber a présenté à l’automne 2018 un nouveau système de recommandation d’itiné­raires. La Mobility as a service (Maas) est ainsi résumée par le directeur de produit chez Uber, Nundu Janakiram dans un article publié par techcrunch. com en octobre 2018 : « L’idée est que votre téléphone remplace votre véhi­cule personnel. »

 

Les données publiques : une mine exploitée par les acteurs de l’immobilier

En matière d’immobilier, les données publiques, notamment le cadastre et les plans locaux d’urbanisme, sont utilisées depuis longtemps. Aujourd’hui, l’enjeu réside dans la sélection des informations pertinentes et la capacité à leur donner du sens.

Par Cécile Perrin

Le secteur de l’immobilier s’est emparé très tôt des données publiques que sont notam­ment le cadastre, les plans locaux d’urbanisme ou encore les données relatives aux immeubles protégés au titre des Monuments historiques. Des techniciens utili­sent la data pour réaliser des si­mulations de bâtiments dans un quartier ou un autre. Une start­up permettezmoideconstruire.fr, pro­pose en outre des conseils aux particuliers pour réussir leur per­mis de construire. La valeur ajou­tée pour les entreprises du secteur est de sélectionner les informations pertinentes parmi toutes celles qui sont aujourd’hui dispo­nibles. « L’idée de l’open data est de proposer aux start­up de créer de nouveaux services et donc de créer de la valeur ajoutée. La vraie problématique, c’est l’utilisation des données, beaucoup ne servent à rien si l’utilisateur n’est pas aidé », estime Teïlo François, di­recteur Grands comptes et Mappr chez Vectuel, une entreprise spé­cialisée dans la représentation 3D des villes. Elle lance en 2018 le service Mappr, qui utilise la don­née publique pour valoriser des projets sur une carte. Selon Teïlo François, « une cartographie in­teractive interprète l’open data » et devient un outil de communication. Ainsi, par exemple, Vectuel a mis en carte l’annuaire des start­up d’Île­-de-­France pour Paris Région Entreprises. « L’idée est d’intéresser notamment les promoteurs puisque nos bases de données intègrent toutes les start­up ou les établissements d’enseignement supérieur d’un territoire, poursuit­-il. En fonction des centres d’intérêt de l’utilisateur, ce dernier choisit les infor­mations qu’il souhaite voir ap­paraître sur la carte. » Il est alors possible d’agréger des données différentes, comme des photos ou des maquettes 3D.

DU BIG DATA AU PROJET LOCALISÉ

Pour trouver du foncier où construire, les professionnels peuvent chercher seuls les don­nées sur une ville ou un quartier. Mais ils peuvent aussi faire appel à des start­up spécialisées dans la prospection foncière, qui proposent l’ensemble des informations en kit, comme par exemple LKSpatialist. Les informations réglementaires, le cadastre, les réseaux de trans­ ports en commun, voire les infor­mations fiscales sont ainsi réunies. En matière d’immobilier commer­cial, la start­up My Traffic se targue de trouver le bon emplacement à partir des données publiques, comme le prix au mètre carré dans un quartier, le nombre d’ha­bitants, de salariés, le type d’entre­ prises présentes à proximité ainsi que le profil des boutiques voisines ou la fréquentation touristique. Mais sa spécificité consiste à com­pléter son analyse de la zone de cha­landise par une évaluation de l’ex­ position d’un local aux flux piétons et de véhicules. Pour ce type d’en­treprises, l’open data constitue bien une matière première, essentielle à leur croissance.

 

Quand la réutilisation des données améliore le service public

Si l’open data est montré comme un outil de développement dans la start-up nation, il a avant tout généré des bouleversements au sein des collectivités. Le changement de culture dans les services est en cours. Les plus convaincus y voient le levier d’une action publique renouvelée au bénéfice des administrés.

Par Cécile Perrin

L’ouverture des données publiques, là où elle est une réalité, change les services in­ternes des collectivités. D’après l’enquête de l’Observatoire Open data des terri­toires, parue en octobre dernier, les collectivités y voient un moyen d’améliorer l’efficacité de l’action publique. D’une part, le fonctionne­ment interne de l’institution y gagne. En effet, le travail de centralisation des informations, de mise à jour et de mise à disposition facilite la réalisation de statistiques comparatives ou l’exploitation des données pour des actions de communication. Les différents services n’ont plus à faire de nouvelles et multiples demandes aux agents, ils trouvent les informations sur la plateforme Open data. C’est le cas, par exemple, des chiffres sur la fréquentation des musées ou des évènements d’une métropole. D’autre part, le service public est lui aussi amélioré. Les don­nées disponibles, enrichies par des contributeurs – citoyens, associations ou entreprises – offrent des résultats plus complets et évolutifs que les seules informations récoltées en interne, ce qui s’avère utile à tous. Les services de la voirie no­tamment peuvent ainsi connaître en temps réel des incidents et intervenir plus rapidement.

PLUS D’INFORMATIONS AUX HABITANTS

Les jeux de données mis en ligne concernent les différents domaines de compétence de la collecti­vité (transport, eau, urbanisme, environnement, développement économique, état­ civil, etc.). Les internautes peuvent y trouver des itinérai­res de balades urbaines, les pistes cyclables, les travaux en cours ou encore les informations sur les déchetteries.

Avec l’application QuiditMiam!, les parents d’enfants scolarisés à Toulouse ont accès aux menus des écoles élémentaires et maternelles. À Rennes, il est possible de connaître la fréquen­tation heure par heure de la Bibliothèque des Champs libres pour s’y rendre lorsqu’il y a moins de monde. Plus anecdotiques encore, des gra­phiques donnent une vue d’ensemble de la pro­grammation du festival des Transmusicales de­ puis sa création en 1979. Les plateformes Open data sont parfois de vrais inventaires à la Prévert, pour lesquels chacun se demande à quoi les données peuvent bien servir.

LA TRANSPARENCE POUR LES CITOYENS

Les promoteurs de l’open data mentionnent sou­vent ses bienfaits en matière de transparence et de démocratie participative. Puisque tous les documents produits par les collectivités doivent être ouverts, les citoyens ont un ac­cès complet aux décisions et aux débats. Il en est ainsi des budgets, du versement des subventions, des résultats aux élections, etc. De quoi nourrir une réflexion collective pour co­construire les politiques publiques. La Métropole de Lyon, parmi les pionnières de l’Open data en France, a lancé un nouveau champ d’expérimentation sur le self data ou comment sensibiliser les utilisateurs au devenir de leurs données. Les lignes bougent, certaines collectivités l’ont compris et tracent la voie. Les autres se laisseront peut-­être convaincre par les enjeux de développement économique, de services et de citoyenneté de l’open data. Et si la carotte ne suffit pas,… viendra peut­-être le temps du bâton !

 

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