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« Le fonctionnement des éco-organismes est contre-productif »

par Sébastien Fournier
Temps de lecture : 5 minutes

Flore Berlingen, alors directrice de l’association Zero Waste France et maintenant chez Emmaüs France, a publié cet été le livre Recyclage, le grand enfumage1. Elle y démontre notamment comment le fonctionnement des éco-organismes, dont les producteurs sont partie prenante, est devenu contre-productif, n’incitant pas à créer des produits durables. Surtout, elle rappelle que le recyclage, techniquement restreint et consommateur de ressources, a ses limites. Elle invite à se préoccuper davantage de la réduction des déchets.

Propos recueillis par Magali Tran

Flore Berlingen – DR

Dans votre livre, vous décrivez les dérives des filières du recyclage et le rôle contre-productif des éco-organismes. Comment a-t-on pu en arriver là ?

L’erreur de départ, c’est de considérer que le recyclage est la solution au problème des déchets. Puisqu’il existe une solution, la tentation est grande de ne pas chercher plus loin, de ne pas aller chercher à la source : le recours au jetable. C’est ce que je dénonce tout au long du livre. Ensuite, est-ce sciemment ou naïvement qu’on en est arrivé là ? Il y a forcément un peu des deux.

Justement, vous dénoncez notamment une communication biaisée entre « recyclé » et « recyclable » : peut-on parler de communication malhonnête autour du recyclage ?

Dans certains cas, oui, mais il s’agit souvent plutôt d’une communication déséquilibrée et d’un discours trop simplifié. Beaucoup de marques jouent sur le vocabulaire : ce n’est pas parce qu’un produit est en théorie recyclable qu’il sera recyclé. Et puis, conscient ou pas, le discours se base sur un système dont les fondements même sont des contradictions, puisqu’il faut des volumes importants de déchets pour rendre le recyclage possible. Le système n’est pas soutenable. Le fonctionnement des éco-organismes, qui sont détenus par leurs adhérents, c’est-à-dire les producteurs ou distributeurs, est contre-productif. Le Point Vert de Citeo (anciennement Éco Emballages) indique que le producteur s’est acquitté de sa contribution obligatoire, mais le choix de faire figurer cette signalétique lui permet de bénéficier d’un bonus au titre de l’éco-modulation, bonus qu’il touchera, que son emballage soit triable et recyclable ou pas !

« La position des éco-organismes est indéfendable car elle va à l’encontre du principe de réduction des déchets. »

Comment réorienter le discours autour du recyclage sans pour autant décourager le citoyen du geste de tri, qui reste nécessaire ?

Il y a un discours simple : c’est de dire que le meilleur déchet, c’est celui qui n’existe pas. Mais aussi de dire qu’un déchet reste un déchet et qu’on le traite plus ou moins bien. L’objectif est bien de produire moins de déchets et de consommer moins de ressources en amont. Ce message ne s’exprime pas, car il ne va pas dans l’intérêt des forces en présence. Si on reprend le cas des éco-organismes, leur position est indéfendable car elle va à l’encontre du principe de réduction des déchets. Avec sa signalétique, Citeo brouille les pistes. Il associe le Point vert, qui n’a rien à voir avec le caractère recyclable ou recyclé du produit, à la mention « Pensez au tri », y compris pour des produits qui ne sont pas triables. Les injonctions sont contradictoires et, en plus, ce qui me choque, c’est que le message implicite qui en ressort est que trier n’est pas jeter. Le cumul de tous ces messages fait que, dans les esprits, le recyclage est complètement positif, sans réserve et sans limite. Or une étude de chercheurs que j’expose dans le livre le démontre : le recyclage incite à la surconsommation.

Pour les collectivités locales qui investissent massivement dans leurs installations de traitement des déchets, le message que vous délivrez est-il audible ?

Mon ambition est modeste : mettre les pieds dans le plat pour ouvrir le débat. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut arrêter le recyclage. Il reste indispensable. Mais je critique le fait de dire qu’on peut recycler tout le jetable.

« Les collectivités locales doivent porter un discours fort sur les aspects environnementaux, mettre davantage l’accent sur la durabilité des produits – et pas seulement leur « recyclabilité. »

Que peuvent faire les collectivités ?

Pour beaucoup de collectivités, les investissements sont déjà faits. Maintenant, il faut qu’elles rééquilibrent le discours et qu’elles mettent le paquet sur la prévention des déchets, qu’elles soient plus transparentes, vis-à-vis du citoyen, sur les limites du recyclage. Elles ont aussi un rôle dans les négociations des filières de « responsabilité élargie du producteur » (REP), dont elles sont parties prenantes. Elles doivent porter un discours fort sur les aspects environnementaux pour faire en sorte que les éco-modulations, c’est-à-dire les systèmes de bonus-malus, soient plus incitatives ou dissuasives pour mettre davantage l’accent sur la durabilité des produits – et pas seulement leur « recyclabilité ».

Les collectivités ont aussi des outils de financement qu’elles peuvent dédier aux actions de réemploi, qui restent le parent pauvre. Avec leur connaissance du territoire, les collectivités ont les moyens d’identifier les porteurs de projets.

Y a-t-il des villes ou des pays où le rapport au recyclage et à la réduction des déchets semble plus vertueux ?

Il existe ponctuellement des initiatives qui tendent vers la réduction des déchets. Une collectivité peut influer en ce sens en conditionnant l’occupation de l’espace public – pour l’organisation d’un événement par exemple – au fait qu’on n’utilise pas d’objets jetables. La ville de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) a imposé un système de gobelets réutilisables consignés dans tous les cafés de la ville. La municipalité a investi en achetant les gobelets et les restaurateurs en assurent le lavage.

Les actions de promotion de l’eau du robinet et de mise à disposition de fontaines à eau dans l’espace public, comme à Paris, vont également dans le bon sens pour limiter la consommation de bouteilles d’eau en plastique.

Est-ce que la voie législative doit aussi apporter des réponses ?

La loi anti-gaspillage2 est intéressante parce qu’elle interdit, non pas des objets – dont la liste pourrait être infinie –, mais une pratique : elle interdit de servir à table dans un contenant jetable. Ça sera effectif en 2023. Mais il faudrait aller encore plus loin, en bannissant aussi le jetable de la restauration nomade. La quantité de déchets que ça représente n’est pas soutenable. Il faudrait des consignes, du réutilisable.

Avec la crise sanitaire, on assiste au retour du jetable et du tout- plastique. Cela vous inquiète-t-il ?

Oui, forcément, même si on espère que cette situation ne durera pas. On voit le retour du plastique comme un rempart pour garantir la sécurité sanitaire et l’hygiène, alors que ce n’est pas la seule solution. Cette idée fait aussi l’impasse sur tout ce qui n’est pas propre dans le plastique, à savoir sa production : ses impacts sanitaires et environnementaux. C’est préoccupant et fâcheux.

1 Recyclage, le grand enfumage. Comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable, Flore Berlingen, éditions Rue de l’échiquier, 128 pages, 13 euros.

2 Loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

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