Les relations entre l’État et les collectivités locales se sont dégradées au fil du temps. Sommés d’agir pour répondre aux besoins toujours plus pressants des habitants, les maires de grandes villes et présidents de métropoles, réunis à Lyon à l’occasion de leurs journées nationales, s’interrogent sur la capacité et la volonté de l’État de leur donner les moyens d’agir.
Par Sébastien Fournier
Ombres et Brouillard. Ce titre d’un film de Woody Allen pourrait résumer l’ambiance qui règne parmi les maires de grandes villes et présidents de métropoles. L’interminable séquence politique qui a suivi la dissolution de l’Assemblée nationale a plongé le pays dans un moment de trouble, y compris chez les élus urbains. Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés sans interlocuteurs, sans réponse de la part de l’État, sans clarification sur les politiques qu’il souhaite mener. Une situation ubuesque qui s’est notamment illustrée lors de la préparation du Projet de loi de Finances 2025, retardée en raison de la formation douloureuse du nouveau gouvernement. « On est au milieu de tout ça, c’est pénible », résume Jean-Luc Moudenc, le maire de Toulouse et 1er vice-président de l’association France urbaine – le collectif des élus urbains. « Ça ne nous aide pas », précise-t-il. L’édile reste tout de même bienveillant à l’endroit du nouveau Premier ministre, Michel Barnier, considérant que les choses vont pouvoir avancer puisque le gouvernement est dorénavant au travail.
Contrôler les finances des collectivités locales
Pour autant, des inquiétudes demeurent. Le climat entre l’État et les collectivités locales s’est dégradé indépendamment de la séquence estivale. Les élus urbains font face depuis un certain temps à des injonctions contradictoires venues de l’État. Les gouvernements précédents n’ont eu de cesse de leur demander de réduire leurs dépenses tout en les encourageant à investir notamment dans la transition écologique ou en les sommant de prendre à leur charge des coûts supplémentaires ne relevant pas de leurs champs d’action.
« On cherche à contrôler nos finances. » Syamak Agha Babaei, vice-président chargé des finances à l’Eurométropole de Strasbourg
Les déclarations du précédent ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, sur le déficit public qui se serait creusé à cause des collectivités trop dispendieuses, a mis le feu aux poudres : « C’est une manœuvre grossière, juge Syamak Agha Babaei, vice-président chargé des finances à l’Eurométropole de Strasbourg, nos budgets sont à l’équilibre. En fait, on cherche à contrôler nos finances ». Ce n’est pas la première fois que l’État tente de mettre les collectivités locales au pas. Sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le gouvernement avait sorti de son chapeau des contrats d’encadrement de la dépense publique locale. Les élus alors contraints de s’exécuter n’avaient pas caché leur agacement. Si la crise du Covid a eu raison de la contrainte, Bercy ne semble pas avoir dit son dernier mot. Dans son projet de loi de Finances 2025, le gouvernement demande un effort de 5 milliards d’euros concentré sur les plus grandes collectivités selon un mécanisme qui ressemble à une usine à gaz.
« Annoncer le fonds vert comme la révolution pour finalement donner des à-coups, c’est désespérant. » Syamak Agha Babaei
La confiance entre l’État et les collectivités locales se dégrade aussi par manque de visibilité. « L’État change de méthodes et d’avis, ce qui rend la relation instable », juge Jean-Luc Moudenc. C’est le cas pour le fonds vert, annoncé fièrement par l’État pour accompagner la transition écologique dans les territoires. Aujourd’hui, les crédits mis à disposition des élus locaux sont en partie gelés. Si les maires de grandes villes et présidents de métropoles admettent que l’État doit faire des économies, ils s’interrogent sur les choix qu’il opère. « Il faut prendre une direction claire. Nous savons tous qu’il faut accélérer les investissements dans la transition écologique. Annoncer le fonds vert comme la révolution pour finalement donner des à-coups, c’est désespérant », déplore le vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg. Signe que les choses ne vont pas s’arranger : le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), en charge du portage stratégique, vient d’être déconnecté de Matignon.
Le détricotage de l’intercommunalité qui ressort du rapport du député de l’Oise, Éric Woerth, remis à Emmanuel Macron avant l’été, jette un trouble au sein des élus urbains.
Les pirouettes de l’exécutif ne concernent pas seulement le financement de la transition écologique. En matière de fiscalité locale, les revirements sont légion. En matière de décentralisation aussi l’État ne semble pas clair sur ses intentions même si, récemment, le nouveau Premier ministre s’est montré précis sur les transferts de compétences. Le président de la République a toujours été favorable au renforcement du couple région-métropole. Or, le détricotage de l’intercommunalité qui ressort du rapport du député de l’Oise, Éric Woerth, remis à Emmanuel Macron avant l’été, jette un trouble au sein des élus urbains. Bien sûr, les propositions du parlementaire n’ont pas valeur de décisions, il n’empêche, elles ajoutent de la confusion dans un contexte où, au sein du bloc communal, une grande majorité de maires – essentiellement ruraux – sous l’activisme de la puissante Association des maires de France, souhaiteraient cantonner l’intercommunalité dans un rôle technique sans aucun poids politique.
Le programme de France urbaine
Dans ce contexte, les élus urbains qui font leur rentrée à Lyon à l’occasion des Journées Nationales de France urbaine, ne veulent rien lâcher. Ils ont adressé une missive à Michel Barnier dès sa nomination à Matignon pour lui faire part de leurs inquiétudes mais aussi de leurs souhaits. À Lyon, ils déclinent leurs propositions comme un programme électoral dont l’ambition est d’arracher un maximum de deniers publics à la hauteur du poids qu’ils représentent. Il est question de transition écologique, de fiscalité, de décentralisation, de politique du logement, des services publics dans leur ensemble… Sauront-ils se faire entendre auprès du gouvernement et auprès d’une Assemblée nationale fracturée en trois blocs ? Jean-Luc Moudenc veut croire que Michel Barnier saura les écouter. « C’est un ancien élu local, il tiendra un langage de vérité, il ne nous promettra pas la lune mais il ne va pas nous faire des promesses sans les tenir », analyse-t-il. Ce n’est pas l’avis de Syamak Agha Babaei qui ne voit pas l’avenir d’un bon œil. « Je suis pessimiste dans l’élite du pays. On va continuer d’assécher nos finances », observe-t-il. Son seul optimisme réside dans la capacité des collectivités locales à innover. Encore faut-il leur en donner les moyens.